« En janvier dernier, le président de la République tenait une nouvelle fois, à l’occasion de la présentation de la future loi de programmation militaire (LPM), le discours anxiogène d’un monde encore et toujours plus incertain. Quelques semaines plus tard, l’idée de rendre obligatoire le service national universel (SNU) revenait à l’ordre du jour. S’il a été retiré de la LPM, des incertitudes demeurent quant aux modalités et au calendrier de sa généralisation.
Dans les faits, le SNU emprunte le chemin du conditionnement militaire auprès d’une population mineure, envoyant là le signe d’une déconsidération du rôle de l’école mais aussi de l’armée, et d’un mépris pour notre jeunesse. Le SNU est le signe d’un abandon des perspectives d’émancipation offertes à la jeunesse par le biais de l’école et de sa mission d’éducation civique et citoyenne en échange d’un encadrement militaire. Il reflète une vision uniforme de l’engagement des jeunes, par la discipline et l’obéissance militaire, à rebours de la diversité et de la vigueur des engagements d’une jeunesse trop souvent dépeinte comme dépolitisée et démobilisée.
Elle est pourtant plus que jamais engagée. Près de 40 % des jeunes de 18 à 30 ans donnent une partie de leur temps bénévolement au sein d’une association ou d’une organisation. Les mobilisations en faveur de nombreuses causes représentent autant de moments d’engagement de nos jeunes auxquels le SNU ne saurait se substituer.
Une généralisation du SNU serait aussi insensée qu’alarmante
À cela s’ajoute la perspective politiquement et socialement dangereuse d’un empiètement sur le temps de l’école, par l’emprunt de deux semaines de temps scolaire pour les séjours de cohésion. Il s’agirait là, pour un coût abyssal de 2 à 3 milliards d’euros par an, ni plus ni moins que de concurrencer l’école dans sa mission d’éducation civique et citoyenne. Une gabegie, à l’heure où l’éducation nationale manque cruellement de moyens.
Par ailleurs, Emmanuel Macron cherche une nouvelle fois dans l’institution militaire la réponse à tous les maux. Témoignage d’une nostalgie de l’Élysée pour la conscription obligatoire, le SNU ne répond pas aux besoins actuels de nos armées, qui souhaitent se consacrer aux missions de défense. Pourtant, il leur impose une double mission : d’accueil de jeunes dans des casernes largement inadaptées, et d’encadrement, à l’heure où le temps de préparation opérationnelle de nos armées est insuffisant. Les militaires, en tant que professionnels de la défense, ne sont ni formés ni engagés pour remplir une mission éducative. Enfin, le SNU n’assure aucune retombée opérationnelle, et l’on peut douter des effets sur la cohésion sociale et nationale d’un tel séjour de quinze jours.
À la caporalisation de la jeunesse, nous préférons toujours son autonomie
Une généralisation du SNU serait aussi insensée qu’alarmante. Le budget colossal qui lui est alloué pourrait être réorienté dans des dispositifs d’engagement citoyen : promotion du service civique ou soutien à l’éducation populaire. Pour nous, l’engagement social doit être un choix et non un devoir. Enfin, si la préparation aux risques et l’anticipation des menaces recherchées à travers certaines missions du SNU sont pertinentes, d’autres voies pour y parvenir sont possibles. Une journée dédiée sur le modèle de la journée d’appel, coconstruite avec les autorités de la sécurité civile, politiques et industrielles, peut être envisagée.
À la caporalisation de la jeunesse, nous préférons toujours son autonomie ; à l’engagement forcé, nous préférons l’engagement choisi ; et à l’embrigadement, nous préférons l’émancipation. »
Tribune publiée dans Le Journal du Dimanche le 15 avril 2023